Mes guerres 2

Novembre 1959: marié, une petite fille. Départ au service militaire

La guerre d’Algérie, qui ne porte pas ce nom dure depuis 5 ans. De grands évènements se sont passés, loin de ma vie, de mes préoccupations.
Ce qui compte, c’est que je suis marié, père de famille, orphelin de père, soutien de famille comme on dit.
Et j’ai le droit de ne pas partir tout de suite en Algérie.
En kaki, brodequins cloutés aux pieds, il faut marcher, marcher. Les copains sont presque tous à l’infirmerie: ils ne peuvent plus marcher à cause des chaussures qui les ont blessés.
Clandestinement, j’achète en ville une paire de rangers. Je suis bien dedans, je n’ai pas mal aux pieds. Je les cache sous les guêtres. Je n’ai pas le droit de les porter.

L’adjudant me convoque de temps en temps. Il veut que je fasse les EOR (Ecole des Officiers de Réserve). Je sortirai sous-lieutenant. J’aurai une chambre à moi, le droit d’aller au mess des officiers. A chaque fois, je refuse. Il me regarde bizarrement, il ne comprend pas. Il revient d’Indochine, il était à Diên Biên Phu. Il sent tout le temps la bière.
Un jour le colonel qui commande cette caserne a voulu nous faire un discours.
Nous attendions dans la cour, longtemps.
Il est arrivé en titubant. «..arde à vous …repos … arde à ..ou, …pos» a-t-il vomi, et il est reparti en zigzagant. Il paraît qu’il fonctionnait avec 50 à 60 bières par jour.
Dans un coin de la caserne, il y avait des petits bâtiments, où logeaient des soldats de carrière, hommes de troupe: 1ère classe, caporal. Des survivants d’Indochine. On disait que de temps en temps l’un d’eux montait en grade, devenait sergent. Et puis, un soir de beuverie, il cognait un officier, se retrouvait au trou, dégradé.
Quand on les croisait, on s’éloignait.On aurait dit des clochards, des épaves…

A la fin des classes, j’ai été envoyé, avec des vieux profs sursitaires, des séminaristes, dans un orphelinat enfantin, créé pour de jeunes enfants de troupe, normalement fils de militaires tués au combat, mais souvent fils de gendarmes, de gendarmes mobiles servant en Algérie ou ailleurs…
J’étais un des «pions» d’internat d’une cinquantaine de gamins dont les plus jeunes avaient tout juste 6 ans. Tous les matins, je rassemblais les draps mouillés pendant la nuit. Les «bonnes sœurs» qui géraient l’orphelinat n’étaient pas tendres avec les tout petits, les «pisseux».
Je refusais de leur apprendre à marcher au pas, «ce n’est pas mon métier, je suis enseignant».
De temps en temps on me demandait de faire la classe pour remplacer un instituteur malade.

Je pouvais de temps en temps avoir une perm’
Je retrouvais mon épouse et un bébé que je connaissais pas, qui avait peur de moi, dont je ne savais pas m’occuper…
(à suivre)

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