Un soir, d’abord en camions, puis en train, dans la nuit, nous avons contourné Paris et pris la direction de Marseille.
Je partais rejoindre mon régiment d’origine, les fusiliers marins, dans un lieu inconnu, en montagne, un sale coin, dangereux.
J’étais caporal, chef de détachement. Nous étions trois à partir de l’orphelinat. On m’avait confié nos livrets militaires, ce qui ne se fait pas.
C’est comme ça que j’ai pu lire les appréciations que l’armée me portaient: «mauvais élément, à ne pas nommer au grade supérieur».
A Marseille, nous avons attendu plusieurs jours des places sur un bateau. Et puis un ordre est arrivé. L’Ecole des Officiers de Cherchell avait besoin de trois hommes pour la compagnie des services.
Je me suis retrouvé fourrier d’une compagnie d’élèves officiers. Je rangeais le matériel, je comptais, je recomptais, je re re comptais tout: les douilles des balles tirées dans les exercices de tir, les cuillères des grenades, les draps, les caisses de munitions, les mitrailleuses, les boussoles, les cartouchières, les gourdes, les cuillères, les fourchettes.
Je crois me souvenir que je m’occupais aussi des soldes, du courrier. J’étais peinard, j’avais ma chambre, avec la photo de ma fille qui grandissait.
De temps en temps, on se retrouvait à plusieurs, dans un sous-sol d’un des bâtiments qui servait de salles de classes provisoires. L’école du village de regroupement était en construction à la porte de l’Ecole Militaire.
On se faisait des petites bouffes, l’ambiance était sympa, on discutait de notre avenir, des évènements.
Une fois, je suis parti avec la compagnie dont j’étais le fourrier pour un exercice de tir au canon et à la mitrailleuse, en montagne, pas très loin.
D’abord, j’ai commencé par oublier de commander les munitions à l’armurerie. Je suis vraiment passé pour une «brêle» aux yeux de tous.
Les canons (des 75 sans recul) étaient montés sur des jeeps, comme les 12.7 (les mitrailleuses).
C’était tranquille…
Au loin, de l’autre côté de la vallée, il y avait comme un petit hameau, avec quelques pauvres maisons en torchis. Un village mort, les habitants étaient «à l’abri» dans un des villages de regroupement de l’armée, un village désert.
Une trop belle cible pour un exercice de tir. En deux coups de canon il n’y avait plus que de la poussière qui volait. Les mitrailleuses ont pris le relais et fait voler des nuages de cailloux.
Il n’y avait plus de village.
Exercice réussi.
Je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite… Tout le monde est remonté dans les camions et est descendu de la montagne.
C’est une fois arrivé en bas, que j’ai réalisé que plusieurs mitrailleuses, qui avaient été descendues des jeeps, manquaient à l’appel.
Panique, sortir clandestinement un camion, avec des copains, remonter dans la montagne, récupérer les mitrailleuses qui étaient toujours là … ouf …!!!!
Terminé pour moi d’être fourrier!
(à suivre)