Mon grand-père

Il s’appelait Clément.

Né en 1887 d’une famille très modeste, il avait quitté l’école à 12 ans pour aller travailler dans les champs. C’était un simple ouvrier agricole, qui se déplaçait de ferme en ferme, au gré des saisons et des demandes, avec juste un coffre en bois dans lequel tenaient toutes ses affaires.

A l’âge adulte, il a rencontré Aimée, ma grand-mère. Elle était la fille d’un artisan menuisier, qui lui avait fabriqué tous ses meubles de mariage. Plus tard, elle a tenu une petite épicerie.

Il avait 27 ans quand il est parti à la guerre en 1914. Sa fille, ma mère, avait un an.

J’ ai surtout connu mes grands-parents à partir de 1943, après les deux premiers bombardements de Nantes, que nous avons fuis avec ma mère. Nous sommes allés nous réfugier dans le village des Deux Sèvres où vivaient mes grand-parents, et où j’ai passé mon enfance.

Je me souviens des soirées autour de la lampe à pétrole, quand l’électricité était coupée, quand il fallait rester dans le noir pour ne pas attirer les avions. Mon grand père était peu bavard. Nous jouions au Nain Jaune, ou bien au « trut » (ce jeu de cartes de tricheur).
Il évoquait rarement le Chemin des Dames à Verdun.
Ce n’est que bien plus tard que j’ai pris la mesure de ce qu’il avait enduré : les tranchées, la faim, l’abrutissement, les blessés qui appelaient leur mère, les cadavres déterrés par les obus, les charniers, la puanteur, la boue, les poux, les ordres absurdes, les explosions permanentes, le courrier qui n’arrivait pas, les souvenirs du pays qu’on échangeait au fond des tranchées, quand les obus cessaient un court moment de pleuvoir.

Il a eu la très grande chance de ne pas être blessé par une balle ou un éclat d’obus.
Il n’est pas non plus revenu complètement fou, comme tant d’autres.
Il a mené en silence une vie ordinaire, de cantonnier dur au mal et au travail. Sa grande fierté était d’être pompier bénévole, de jouer du tambour et du clairon dans la fanfare communale.

Il est mort indirectement des conséquences de cette guerre 14-18 : gazé à plusieurs reprises, personne n’avait vu qu’il ne lui restait plus que la moitié d’un poumon pour respirer : il est mort étouffé après une opération chirurgicale.

Je conserve son vélo, et ses médailles.

Bernard Béville

 

 

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