… que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître !
Et pour cause, il s’agit de l’année 1990.
Racontée par Alexis Michalik, dans son extraordinaire bouquin « Loin » (le Livre de Poche) qui nous fait voyager dans l’espace – France, Turquie, Arménie, Russie, Autriche, Allemagne, URSS… – et le temps – lointain ou proche.
« Ami lecteur – et cette parenthèse s’adresse surtout aux plus jeunes d’entre vous – il faut comprendre ce qu’était l’année 1990. Certes, elle marquait la fin de la veste à épaulettes portée au-dessus d’un T-Shirt, des justaucorps fluorescents, des guêtres et des coupes plateau et mulet, certes soixante-dix ans d’Union Soviétique allaient se disloquer et rendre leur indépendance à quinze pays, mais malgré ces progrès incontestables, c’était une époque technologique lointaine et reculée. Le téléphone n’était pas portable, il était filaire, à moins de posséder une voiture de luxe. Apple vendait déjà des ordinateurs personnels, mais l’écran du Macintosh Classic, qui sortirait à la rentrée aux Etats-Unis, était en noir et blanc. Et mis à part quelques chanceux de Français qui bombaient le torse en pianotant sur leur glorieux Minitel, personne, dans le monde, ne pouvait bénéficier des forums de discussion en réseau, pour la bonne et simple raison qu’Internet n’existait pas. Oui, jeune ami, il fut un temps pas si lointain où ni Google, ni Facebook, ni Twitter n’existaient. Les gens n’avaient pas d’adresse mail, pas de numéro en 06, pas d’applications, pas d’iPhone, pas de Nokia, pas de Samsung. Les gens ne s’envoyaient pas de textos, pas de messages MSN, pas de photos. La photo était argentique. Les photographes amateurs et professionnels devaient apporter leur pellicule à développer dans un laboratoire et attendre plusieurs jours avant de savoir si le résultat était à la hauteur de leurs espérances. Lorsque les gens se téléphonaient, ils devaient composer un numéro, sauf certains privilégiés qui possédaient une touche bis. Lorsqu’ils rataient un appel, ils devaient rappeler un autre numéro pour connaître celui de l’appelant. S’ils étaient hors de chez eux, ils utilisaient des cabines téléphoniques, et cherchaient dans un bottin imprimé les numéros des gens qu’ils espéraient joindre. S’ils voulaient se voir, ils devaient se déplacer, et convenir préalablement d’une heure et d’une adresse. Et pour se rencontrer, les gens n’avaient pas trop le choix : ils devaient sortir et se parler. Voilà pourquoi vous comprendrez aisément, ami lecteur, que lorsqu’une femme célibataire, d’un certain âge, vivant au fin fond de l’Arménie – qui n’avait pas encore affirmé sa souveraineté vis-à-vis du carcan soviétique – croisait un homme alliant une conversation charmante, une aisance naturelle et un esprit piquant juste comme il faut, elle ne se faisait pas prier pour prolonger la conversation et finir par l’inviter à dîner.«
Alexis Michalik, né le 13 décembre 1982, est un acteur, dramaturge, metteur en scène, scénariste et écrivain franco-britannique. Lors de la rentrée littéraire 2019, il publie son premier roman intitulé Loin, chez Albin Michel : un road movie vers l’Europe de l’Est, une quête des origines, un page turner de 656 pages. Le roman figure sur la sélection du prix Renaudot des Lycéens 2019 et est en sélection du Prix des Lecteurs 2021.
http://www.alexismichalik.com/accueil.cfm/425978_alexis_michalik.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexis_Michalik