Et puis un jour, la « quille » tant attendue est arrivée.
A Alger il n’y avait pas de place dans les bateaux avant plusieurs jours. Ni une ni deux, je suis allé à une agence de voyage et j’ai acheté un billet d’avion pour rentrer en France.
Le retour a été difficile. Retrouver une vie « normale », ne pas craindre le moindre bruit, ne pas toujours être attentif à tout et à tout le monde autour. Se retrouver au quotidien avec une épouse et une fille de deux ans que je connaissais pas.
L’indépendance a été signée le mois qui a suivi mon retour.
Les copains du poste ne sont pas rentrés tous tout de suite. Six mois après, trois d’entre eux, libérés et de retour au pays, sont passés me voir et me donner des nouvelles.
Le village avait été immédiatement détruit par les militaires algériens. Il y avait eu plein de règlements de comptes. Beaucoup d’hommes du village avaient disparu. Les femmes qui faisaient notre lessive avaient toutes été égorgées, coupables de collaboration avec l’ennemi.
L’horreur de la guerre, sa monstruosité, que je n’avais pas trop vue là-bas, venait de me rattraper avec une infinie brutalité.
Je me sens coupable.
Coupable d’avoir essayé d’être un homme banal, ordinaire, qui a cru au bien-fondé de ce qu’il a tenté de faire.
Coupable de la mort de plusieurs personnes, sans arme, sans fusil, simplement parce que j’avais cru les aider….
En ce moment, je pense à toutes celles et ceux qui sont sous les bombes, qui risquent leur vie à chaque seconde, à Gaza, au Liban, en Ukraine, et ailleurs, qui ne sont pour rien dans ce qui se passe, et qui seront peut-être tués un jour parce qu’ils auront secouru ou aidé quelqu’un.
Je n’ai pas de médaille, je n’en veux pas. Je n’ai pas fait la guerre d’Algérie, je l’ai subie, comme tous les autres.
Appelé sous les drapeaux : novembre 1959
Retour à la vie civile : février 1962