Toucher, vous avez dit toucher ?

Le Covid-19 nous oblige à prendre nos distances pour éviter le virus et juguler la pandémie .
Ne plus serrer la main pour saluer un voisin, ne plus enlacer ses amis, ne plus câliner ses petits-enfants, rester éloignés les uns des autres pour discuter…
Que nous manque-t-il ?
Le toucher ! Ce « supplément d’humanité » qui réconforte, ce signe d’empathie qui prend le relai quand les mots ne suffisent pas à exprimer les émotions.
Le toucher, c’est « l’ouverture aux autres ». Mais les autres, ce n’est pas tout le monde. C’est ceux qu’on a choisis !
C’est en en étant privés, que nous nous rendons compte le contact nous manque et combien il est essentiel.
Essentiel au bon développement du bébé, à l’expérimentation de l’intelligence des enfants, au prompt rétablissement des malades et à l’équilibre de nos relations sociales, explique Meriem Salmi.
Il existe plusieurs types de contacts physiques d’après Heslin et Apler qui en dénombrent 5 :
– le toucher professionnel : coiffeur, agent de sécurité, médecin… dont les gestes parfois intrusifs sont acceptés et règlementés dans un cadre légal
– le toucher social et de politesse : poignée de mains, tapotement de l’épaule…
– le toucher chaleureux et amical : qui réconforte et se place à un niveau relationnel déjà engagé
– le toucher de l’intimité : celui des amoureux ou lié à la sensualité
– le toucher sexuel
Bien-sur, le toucher n’est pas interprété de la même manière partout. Il diffère selon l’éducation, la culture, les intentions supposées de part et d’autre, précise Élodie Mielczareck.
Le sociologue Dominique Wolton rappelle que si nous avons « colmaté » les manques de la distanciation physique par la communication numérique, celle-ci ne les remplace pas. Le digital est parfait pour informer mais nous y perdons l’incarnation, la chair qui fait partie intégrante de la communication. Nous avons bien constaté que les visioconférences et les apéros-Net ne nous suffisent pas. Ils permettent de garder le lien mais nous frustrent aussi par leur absence de contact, de toucher, d’échanges de regards, de mimiques…
Dans la vie familiale, cela va sans doute nous contraindre à verbaliser davantage nos intentions, à utiliser davantage de métaphores, pense Élodie Mielczareck car la métaphore est l’incarnation du propos…
Que nous manque-t-il quand nous ne pouvons plus « toucher » les autres ?
Essentiellement une hormone-clé du bien-être et de l’attachement : l’ocytocine !
Elle est secrétée lors d’un toucher bienveillant. Elle lutte contre le stress et ses effets en permettant à notre organisme de se détendre et d’être relié à l’autre, analyse Céline Rivière. La privation de contacts physiques a donc des conséquences émotionnelles et psychiques.
Le toucher est un acte naturel : les gens font corps, se rapprochent lorsqu’il y a danger.
Aujourd’hui l’absence de contact est devenue le passeport pour la survie alors que le toucher est essentiel à la vie… Face à ce conflit, à cette « schizophrénie », nous devenons stressés, angoissés.
Dans les années 1970, des psychologues Margaret et Harry Harlow ont montré que le toucher serait l’acte le plus fondamental de la vie, plus essentiel que l’alimentation. Nous recherchons la chaleur de l’autre. Serait-ce pourquoi tant de personnes prennent des bains de soleil sur les balcons et terrasses et ont besoin d’aller à la plage ?Sources :
Meriem Salmi : psychologue et psychothérapeute. « Croire en ses rêves et trouver son chemin » – Ed Fayard
Élodie Mielczareck : sémiolinguiste. « La stratégie du caméléon » – Ed du Cherche-Midi
Céline Rivière : psychologue clinicienne et neuropsychologue. « La câlinothérapie » – Ed Michalon
Dominique Wolton : sociologue – directeur de recherche au CNRS en sciences de la communication, spécialiste des médias, de l’espace public, de la communication politique, et des rapports entre sciences, techniques et société
Richard Heslin and Tari Apler : “Touch : A Bonding Gesture,” in Nonverbal Interaction – eds. John M. Weimann and Randall Harrison
Margaret et Harry Harlow : psychologues américains –  méthodes d’études sur les animaux   condamnées par de nombreux défenseurs de la cause animale.

Article de Christine Mateus, paru dans « Aujourd’hui » semaine du 9 au 12 juin 2020

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